Ces derniers jours ont été tellement intenses que ça méritait bien un article.
Le théâtre forum
J’avoue que c’est un plaisir de revenir sur scène. Je n’ai pas une expérience professionnelle ni même régulière de la scène. La scène est une métaphore puissante : c’est la vie elle-même. Nous vivons tous les jours un rôle et là, nous vivons une scène dans la grande scène. C’est aussi la caverne de Platon : mais sommes-nous les ombres ou les acteurs dont les ombres sont projetées ?
J’ai été intriguée par la forme du théâtre forum (apparemment plus commune ici) et je suis très fière de faire partie d’un tel projet pour sa dimension sociale et psychologique. Le théâtre forum est une forme théâtrale visant à rendre la société meilleure en mettant en lumière les relations oppresseur-opprimé. Individuellement, voir ces scènes si réalistes, c’est pouvoir prendre conscience de sa position mais surtout, avoir l’opportunité de trouver une issue, de confronter son oppresseur et d’enfin sortir de la peur, de cette boule au ventre, de cette paralysie incontrôlable. On donne le pouvoir à tous pour cesser ces comportements toxiques, changer le regard de tous : oppresseur, opprimé et témoin (passif). Nous avons probablement tous et toutes été dans ce cas un jour.
"Les Éloquentes" ont présenté six saynètes montrant des situations de sexisme, d'agression (et de micro-agressions) et de racisme. Après une première représentation, les comédiens ont rejoué la scène pour donner l'opportunité au public de remplacer la victime et de proposer une autre issue. Différentes personnes du public ont pu intervenir. Ce jeu de rôles s'est passé sous la grande bienveillance de la meneuse de jeu.
Je suis aussi heureuse d’avoir rencontré les autres comédiens, pro et amateurs : Sonia Assier, Maxime Barbier de La Boussole, Ingrid Broussillon des Griottes Polyglottes, Lucie Couhailler, Marion Gailet, Gabriel Jalbert, David Prière et Slim Rouissi, l’excellente meneuse de jeu, Emmanuelle Bertrand, l’extraordinaire menteuse en scène, Nathalie Lopez-Gutierrez (également comédienne) et l’impressionnante Maryse Beaujean Weppenaar de Réseau Femmes et toutes les organisatrices de ce projet. J’ai vraiment eu le sentiment d’appartenir à un groupe portant des valeurs, réfléchissant vraiment à la pertinence des attitudes, des gestes, à la réception du public.
Les acteurs, femmes et hommes, se sont mis en position de vulnérabilité et de dominant (pas facile non plus car ce n’est pas leur nature, mais elles sont courageuses d’accepter de se mettre dans ces personnages pour dénoncer ces comportements).
Les deux représentations ont été fortes en émotions. Rentrer dans mon personnage était à la fois facile et difficile. Facile car je suis déjà allée signaler des faits à la police et je me suis heurtée à leur indifférence et condescendance. Difficile car je ne porte pas le voile et que je ne suis pas musulmane. J’étais très stressée d’incarner au mieux ce personnage, d’autant plus que lors de la seconde représentation, l’impressionnante Nour Elnayeh, est venue me voir. C’est son histoire et je voulais l’interpréter de la façon la plus juste possible.
Le public a été extraordinaire. Il a joué le jeu et des personnes sont venues sur scène pour donner la réplique, pour confronter les oppresseurs. Je trouve ça très courageux et tellement fort : ce geste est une avancée pour soi mais la dimension sociale résonne encore plus forte. Ces différentes propositions d’issues, de formulations, d’arguments plantent des graines de courage et de réflexion pour tous. Les deux représentations ont fait salle comble.
L’ironie du sort a voulu que nous allions dans un bar après la première représentation et qu’un homme s’approche de notre tablée (de près d’une dizaine de personnes tout de même !) pour aborder l’une des personnes qui a participé à l’écriture du projet. Ce grand chauve bedonnant insistant lui a sorti la ritournelle habituelle et toute notre équipe a fait corps. J’étais prête à lui sauter à la gorge. Mais comme notre chère meneuse de jeu le rappelle en début de représentation, la violence n’est pas une solution. Mais c’est tout de même incroyable que nous ayons eu des travaux pratiques après les ateliers !
Je discutais avec Nathalie Lopez-Gutierrez, du fait que j’avais déjà eu une superbe collaboration avec une autre Natalie (Vella), australienne rencontrée à Paris. Ce qui est drôle, c’est que je rencontre une autre Nathalie, d’une origine différente que dans le pays où nous résidons et qui est elle aussi réalisatrice de film. Et Nathalie Lopez-Gutierrez, de m’expliquer qu’elle aussi a collaboré avec une autre Nathalie. Le monde des Nathalie est plus petit qu’on ne le croit...
Les sensations boomerang
Lorsqu’on attend, c’est meilleur. On dit ça de beaucoup de choses. Ce n’est pas faux dans le fond...
Mener un atelier de façon générale est terriblement enrichissant, autant pour les bénéficiaires que pour la personne qui l’anime. Mais là, un atelier d’écriture, d’autant plus théâtrale, pour la Boussole est un vrai bonheur. C’est très touchant d’entendre les autres parler de leurs expériences, de leurs valeurs. Bien sûr, je le fais toujours dans le cadre du journalisme mais ici, je guide et j’aide à construire.
En parlant d’écriture, j’ai enfin rencontré en personne Daniel Viragh, que j’avais interviewé pour La Source. Je parle de lui un peu plus loin dans cet article.
J’ai aussi assisté au concert de Louis-Jean Cormier dans le cadre du Coup de Coeur Francophone. C’était tellement bon de pouvoir enfin être à nouveau témoins d’art vivant que j’en ai pleuré. Bon, il y a aussi que je suis totalement tombée raide dingue amoureuse de la musique de Louis-Jean Cormier, de ses textes profonds et de sa musique stellaire. On sentait que c’était un spectacle prévu pour une plus grande salle et plus dansant, comme Louis-Jean Cormier l’a lui-même dit. Nous étions tous bien espacés à cause du Covid mais c’était une grande chance pour pouvoir enfin assister à un spectacle en personne.
Je discutais avec plusieurs personnes, artistes ou en devenir, de ce sentiment de congestion créative. La pandémie et surtout ses dommages collatéraux ont entrainé un repli sur soi, sur son espace; il a pu être bénéfique pour l’introspection mais aussi étouffant. Je pense qu’on a eu l’impression de tourner en rond comme un lion en cage. Ce qui m’a vraiment fait reprendre la plume de façon créative, qui m’a fait reprendre ma guitare et essayer de chanter, qui m’a fait prendre mon crayon pour esquisser, c’est la rencontre dans le monde réel avec autrui. Ça a toujours été mon moteur. « L’enfer, c’est les autres » disait Sartre mais je ne peux pas m’y résoudre.
On m’a souvent taxée d’idéaliste mais cette étiquette n’est pas péjorative pour moi. Que serait le monde sans les idéaux ? Que serait-il sans les idéalistes, ces fous qui bâtissent des cathédrales humaines ? Le fait de me saisir par le collet et de me forcer à m’engager dans des projets humains (ce que j’ai toujours aimé) a été mon salut pour sortir du marasme de mon apathie et je le recommande grandement.
Je pense qu’on doit se rendre physiquement _tant que possible avec le Covid_ dans des lieux propices à des échanges de qualité avec d’autres humains.
La pandémie et le confinement nous a mis dans des bulles, des petits cadres et le retour à l’unité, à la communauté, pousse certains à de beaux projets. Nous sommes comme des gouttes, formant au fur et à mesure une rivière d’individus, restés seuls, coulant le long des pentes et des vallées pour nous retrouver dans l’océan de l’humanité. Espérons que nous puissions former des vagues positives. Du moins, j’aimerais le croire.
La poésie
Je rencontre enfin en personne certaines personnes que j’ai interviewé pour La Source. J’ai eu la chance de prendre un café avec Daniel Viragh et j’ai été extrêmement touchée qu’il m’offre une version de son recueil de poèmes, « La ballade des gens libres » disponible sur Amazon. C’est un homme impressionnant, parlant tant de langues. C’est sa première publication en français. J’ai été très touchée par tous les poèmes mais ceux que je préfère sont « Juge-moi pas » et « Tout comme je suis, comme tu es ».
La poésie revient dans ma vie sous différentes formes, parfois assez extravagantes. Je me souviens d’un jour dans le métro à Paris où un poète déclamait. Je le regardais et je lui ai souris. Il l’a vu et m’a apostrophé, m’a remercié dans cette petite rame de métro bondée. Je ne savais plus où me mettre car je cherchais juste à me fondre dans le décor, dans les murs si possible à cette époque.
Une autre fois, j’étais à la Réunion. Je faisais visiter la Réunion à des amis anglais et nous étions sur la plage de l’Ermitage après un vol d’hélicoptère soufflant. Un homme âgé se baignait avec une autre personne. En sortant de l’eau et après s’être séché, il s’est approché de nous et nous a offert une copie de ses poèmes.
Une journée ensoleillée en automne
Le soleil d’automne vancouvérois est exceptionnel parce que rare, et généralement, il faut se ruer dehors pour pouvoir prendre sa dose de vitamine D. Tout est prétexte à sortir; des courses non-urgentes, un écureuil à suivre, vérifier une boîte aux lettres désespérément vide : trouver n’importe quoi pour ouvrir cette porte et vous jeter dans la rue. Tout est si calme après la tempête et si beau. Sans vent, cette journée a eu un goût de printemps. Les sommets légèrement saupoudrés de neige annoncent la festivité de l’hiver.
Mais malgré les rares rayons de soleil, novembre est LE mois de la pluie à Vancouver. Cependant, certaines personnes n’ont pas vu ça depuis au moins 15 à 20 ans. Hélas, on annonce toujours plus de victimes des inondations et encore d’autres crues de cette rivière atmosphérique. Les accalmies sont de courte durée et l’eau n’a pas encore le temps de se retirer que les fortes précipitations tombent à nouveau.
Il faut dire que quand il pleut dans la région à cette période de l’année, c’est le déluge. Au début, je pensais que c’était un peu exagéré de voir certaines personnes avoir un parapluie ET une capuche. Jusqu’au jour où la pluie a détrempé mon parapluie au point qu’il pleuve sous mon parapluie ! Depuis, j’ai adopté cette tenue très vancouvéroise.